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ENTRETIEN AVEC YVELINE RAPEAU - directrice du festival (extraits)

En quoi le rapport à l’espace est-il constitutif de l’identité du cirque ?
La thématique transversale de « La conquête de l’espace » revêt de nombreuses acceptions, qui s’illustrent pleinement dans de nombreuses propositions accueillies. En premier lieu, nous assistons à un développement de scénographies ambitieuses, se muant parfois en « scénographies agrès », qui redéfinissent un rapport à l’espace totalement différent de celui des agrès traditionnels. Les terrains de jeu investis sont aussi toujours plus nombreux : si le cirque est toujours présent sous chapiteau et dans l’espace public, qui constituent ses territoires originels, il se conçoit aussi désormais en salle comme dans des lieux non dédiés - musées, friches, sites patrimoniaux... - à travers une multitude de dispositifs : frontal, bi-frontal, tri-frontal, grand ou petit plateau... Enfin, de plus en plus de compagnies conçoivent leurs propres dispositifs visant à intégrer les spectateurs aux côtés de l’espace scénique, sous forme de petits gradins, de palcs... Ajoutons que le choix de cette thématique s’assortit d’un petit clin d’œil : elle salue la conquête tangible de l’espace institutionnel, que l’on pense à la reconnaissance avérée du cirque comme un art à part entière, ou à sa place désormais acquise dans la programmation des lieux pluridisciplinaires.

Pourquoi le choix d’un focus flamand dans le volet Cirque des 5 continents ?
D’abord et avant tout parce qu’il apparaît qu’il y a désormais un vivier de talents parmi les artistes de cirque belges et flamands. La Plateforme 2 Pôles cirque en Normandie en accompagne certains depuis plusieurs années : par exemple Alexander Vantournhout depuis ses débuts, à qui nous avons consacré un week-end en novembre dernier. Sept ans après les avoir accueillis une première fois, nous retrouvons ainsi Circus Katoen, avec un petit duo d’une grande tendresse, maniant un irrésistible second degré très flamand : ils jonglent avec des morceaux de pelouse, littéralement l’épiderme de la terre ! BITBYBIT, pour sa part, traite des relations humaines par le biais d’une technique ancestrale : la maxillo-traction. Quant au duo d’acrodanse Sinking Sideways, il incarne l’émergence. J’ai eu un véritable coup de foudre pour leurs partis pris radicaux mettant en scène un corps performatif capable de reproduire un mouvement, de subir d’infinies variations ou de se dilater dans l’espace avec la régularité d’un métronome... Une fascination opère, de l’ordre de la cadence des mélopées ou de la transe des derviches tourneurs.

Les dispositifs spéciaux, pour leur part, déclinent des propositions à l’égard de publics ciblés, que sont les professionnels ou les jeunes spectateurs.
Le Mini SPRING est en effet devenu une ligne de force de la programmation, qui rend compte de la place que nous entendons donner à la création circassienne pour le jeune public. Cette fois, nous allons jusqu’à lui consacrer le dernier week-end du festival, à travers les Family Fun Days, qui constituent le temps fort de clôture au Cirque-Théâtre d’Elbeuf. Les parcours professionnels, quant à eux, permettent chaque année de présenter à des programmateurs des créations variées, dans leur format - telles que La Boule, de Liam Lelarge et Kim Marro, duo émergent de jeunes femmes ou Mikado du Collectif Sous le manteau, dont les mâts chinois reprennent le principe du terrible jeu de catastrophe éponyme - comme dans leur propos. Ainsi, Les quatres points cardinaux sont trois : le nord et le sud d’Andrés Labarca illustre formidablement la thématique de la conquête de l’espace : le travail accompli par la scénographe de Peeping Tom y rend compte du caractère ambitieux convoqué de nos jours par les circassiens. Quant à Friendly ! de Guillaume Clayssen, en faisant appel à de virtuoses acrobates pour évoquer l’impossible relation d’amitié entre hommes et femmes, il traite d’un autre espace symbolique à conquérir ! Signalons aussi Métamorphoses, une création avec des chevaux pensée pour la salle, fruit de la rencontre entre Nolwen Gehlker de la Compagnie Pagnozoo, et Camille du Théâtre du Centaure. Il y sera question notamment de la trajectoire de Nolwen, en tant que femme dans un milieu de cirque néo-traditionnel, s’affirmant cette fois comme auteure. Deux univers s’y côtoient, la rusticité de Pagnozoo se frotte à l’esthétique léchée du Centaure, avec beauté et émotion.

Quant au volet Cirque et patrimoine, il outrepasse cette année le cadre de SPRING, pour investir un site historique majeur de la région en juin prochain.
Oui, et ce sera pour la première fois une sorte d’épilogue de SPRING ! Cirque et patrimoine se traduit en effet cette année par ce geste très fort : la création d’un spectacle sur le site archéologique du Rozel, classé d’intérêt national. Intitulé Huellas, le spectacle entrera en dialogue avec ce site unique au monde, qui héberge la plus forte concentration d’empreintes de l’Homme de Néandertal : il s’agit d’un travail mené par Matias Pilet et Olivier Meyrou autour de la trace et de l’empreinte, une thématique qui hante les circassiens... Une présentation publique du spectacle sera donnée en salle pendant SPRING, avant sa création en juin sur la plage normande au pied des dunes abritant le site, à l’occasion des Rencontres Européennes de l’Archéologie. Une manière de conquérir un autre espace symbolique, celui d’un champ connexe qui offre un contexte de visibilité complètement nouveau !

Propos recueillis par Julie Bordenave